Yes we Canada
«On n’emmène pas de saucisses quand on va à Francfort.»
(Michel Audiard – Le Pacha)
Le transport de matières carnées périssables aurait été – quoiqu’il arrive – prendre un risque trop important en ce début du mois de juin, alors que les végétaux se disputaient le privilège de la floraison avec les avis de grève dans les transports.
Nous embarquâmes donc à Paris – avec nos bagages mais sans saucisses – dans le train qui devait nous mener à Francfort. Ironiquement, la ville la plus riche d’Allemagne propose les vols à destination du Canada les plus abordables. Nous pûmes donc visiter « Mainhattan » et ses gratte-ciels (référence subtile au cours d’eau qui traverse la ville – le Maine pour les ignares – et au quartier de Manhattan à New-York) découvrant par la même occasion que les Frankfurter n’ont pas seulement des saucisses, ils ont aussi de l’esprit.
Après avoir fait l’expérience dépaysante – quoiqu’agréable – de dormir dans un lit, nous nous présentâmes le lendemain matin à l’aéroport de Francfort, troisième en Europe de par sa taille, mais premier toutes catégories pour les emmerdements (selon un sondage effectué sur un panel représentatif de 2 personnes constitué de Laetitia et de votre serviteur).
A la décharge de nos voisins teutons, c’est plutôt notre relative décontraction vis-à-vis des formalités douanières qui serait à blâmer et non la rigueur germanique. L’embarquement nous était refusé au motif que nous n’avions pas de billet retour, ce qui risquait d’éveiller chez les autorités canadiennes, la crainte relativement infondée de nous voire travailler au noir dans leur beau pays, alors qu’une vie de vacances ne suffirait pas à le visiter.
Nous fûmes donc obligés de prendre un billet d’avion retour « de n’importe où, vers n’importe où ». Ce n’importe où s’avéra être la Mecque des printemps estudiantins aux Amériques : Cancun, qui n’a pour similitude avec sa consœur du Moyen-Orient que la transhumance annuelle et non la tenue vestimentaire.
Le porte-monnaie aussi léger que l’esprit, nous embarquâmes pour 10 heures de vol au dessus de l’Atlantique, où par un heureux concours de circonstance, nous fûmes surclassés en « premium economy class », classe qui vous donne le privilège incommensurable de rendre jaloux les pauvres derrière vous qui vous pensent riche.
Après l’Islande et ses 300’00 habitants, Calgary et son petit million de citoyens provoqua un changement rafraichissant (entendons nous, c’est le changement qui était rafraichissant, pas le temps qui heureusement était plus chaud qu’au « pays des glaces »). Les gratte-ciels et les avenues vivantes le disputaient aux centres commerciaux et aux restaurants en tout genre. La joie fut cependant de courte durée quand nous dûmes choisir à manger dans le « TD SQUARE » de Calgary. Nous étions comme deux allemands de RDA au rayon boucherie de Carrefour. Il y avait tellement de choix que nous nous prenions à rêver avec nostalgie aux rayons mono-produits de l’Islande. Le repas avalé dans les « Devonian Gardens » – splendide jardin botanique qui se trouve au cœur même du centre commercial, nous pûmes parer aux derniers préparatifs de notre voyage et faire l’acquisition d’un spray au poivre, qui sert à assaisonner les ours pour le cas où ils voudraient vous croquer.
Si l’Islande est une femme frigide, le Canada est une prostituée. Elle nous a tout offert dès les premiers jours. Les cartes postales étaient là : les montagnes grandioses, les arbres majestueux bordant des lacs bleus azur, les bivouacs dans l’arrière-pays et les animaux sauvages étaient autant de clichés qui défilaient sous nos yeux. Nous étions pourtant dans des zones densément peuplés qui peuvent difficilement mériter l’adjectif sauvage, mais lorsque tout est tellement vaste, il y a de la place pour tout le monde.
Notre première tentative pour « faire du pouce » (comprenez faire du stop) s’avéra infructueuse (ou trop efficace selon les points de vue). Nous étions en quête de nourriture, quand un sympathique Québécois nous aborda volontairement pour nous proposer de nous déposer à Canmore, but de notre journée.
Avant de passer aux choses sérieuses, une ballade aux « Grassi Lakes » près de Canmore nous permit de nous délier les jambes. Nos espoirs de grands espaces devaient vite se voir contrarier par la météo qui rendait inaccessible la plupart des randonnées dans l’arrière pays. C’est donc relativement dépités que nous découvrîmes au hasard de nos errances dans Canmore, une affiche annonçant une vente de vélos d’occasions pour le lendemain. C’était un signe qui nous remettait en selle ! Les deux superbes destriers achetés pour moins de 100 dollars nous permirent de nous rendre au « Ha Ling Peak » (sommet de 2407 mètres) avant d’emprunter le sentier de « Goat Creek » qui devait nous conduire à Banff après une nuit au camping du mont Rundle.
Les Nord-Américains ont – je trouve – la fâcheuse tendance de survendre leurs produits ce qui gâche parfois la surprise et déçoit lorsque la réalité ne se mesure pas à la brochure. J’avais donc quelques appréhensions lorsqu’on nous décrivait le sentier qui borde le Lac Minnewanka comme un « grand huit » au sein d’une phrase qui contenait suffisamment de superlatifs pour faire rougir de honte un politicien en campagne. La ballade de trois jours s’est cependant avérée fort plaisante. Le sentier étroit qui bordait le lac était ludique et les campings limités à 5 emplacements avaient un vrai goût de nature.
La nuit que nous avons ensuite passé au camping du Mont Rundle a pris une tournure inattendue. Elle a commencé comme du camping, mais – comme dans l’avion – nous avons eu la chance d’être surclassés et de partir en croisière. Avec les fortes précipitations, les rivières avaient eu l’envie pendant la nuit de faire leur lit dans le notre. Une évacuation express nous permit de rejoindre Banff pour constater l’étendue de la montée des eaux qui faisait désormais la une des journaux de l’Alberta.
Les routes étant coupés suite à des glissements de terrain, nous profitons de la tiédeur de la bibliothèque municipal et du moelleux de ses sièges pour planifier la suite de notre voyage.