Ruée vers l’or : 1000 km en canoë sur le Yukon

Panorama - Yukon river, YT

Canoë - Yukon River
Départ : Whitehorse, YT, Canada
Arrivée : Circle, Alaska, USA 
Distance : plus de 1100 km 
Durée : 21 jours de canoë


« Vous êtes sur le territoire de l’ours. Bienvenue dans la chaîne alimentaire »

Ours noir - Yukon river,YT

Ours noir – Yukon river,YT

Cette phrase aperçue sur un T-shirt illustre pourquoi un siècle après la ruée vers l’or, de curieux bipèdes bardés de Gore-Tex continuent à affluer vers le Yukon. Ce n’est pas l’exploit physique qui les emmène là : le développement des infrastructures, l’évolution du matériel, et l’expérience des personnes qui viennent s’y frotter rendent le défi beaucoup moins menaçant pour l’intégrité physique (nous n’avons rencontré que peu de gens atteints de scorbut lors de notre périple). N’importe quelle personne voulant rehausser son niveau d’adrénaline peut de toutes façons trouver une rivière de classe V à l’arrière de son jardin, et il n’y a pas besoin de faire tant d’heures d’avions pour se mettre en danger : les voyages quotidiens en voiture pour aller au travail présentent certainement un taux de mortalité beaucoup plus élevé que les voyages dans les régions subarctiques. Non, ce qui pousse beaucoup d’homo sapiens sapiens à effectuer cette régression au stade de chasseur cueilleur, c’est cette rare possibilité de redistribuer les cartes et de réintroduire une part de hasard dans une confrontation avec la nature où nous jouons sans arrêt la même main gagnante.

Activités à bord - Yukon river, YT

Activités à bord – Yukon river, YT

Cette vision romantique de notre voyage sur le Yukon a volé en éclat au contact d’une réalité étonnement plus agréable que nous ne l’avions anticipé. Un été qui s’attarde, peu de mauvais temps et un courant relativement rapide sur le fleuve nous ont permis de lire, pêcher, et faire la sieste plus que de raisons.

Nous avons découvert à cette occasion un auteur Canadien de grande qualité  dont la « trilogie de Deptford » est une œuvre splendide : Robertson Davies. Son héros est un adepte de l’écriture, dans un style qu’il qualifie en anglais de « plain style » et qu’on pourrait traduire par « langage simple ». Les fioritures et les circonvolutions stylistiques sont selon lui des masques qui permettent de travestir plus facilement la vérité. Une écriture épurée est définitivement plus fidèle aux événements.

Nous nous en tiendrons donc aux faits pour décrire un mois de voyage sur le Yukon, dans les pas des chercheurs d’or. Il est de toute façon évident que l’attention du lecteur est inversement proportionnelle à la longueur du texte, et les statistiques démontrent que la moitié des lecteurs nous ont déjà quittés à ce stade de l’article.

Nous - Yukon river,YT

Whitehorse – 28 Juillet 2013

Nous arrivons en ville avec une guide de « Cabin Fever Adventures » qui nous a prise en stop depuis Carcross. Elle part s’installer dans la capitale anatomique de la Suisse : la ville de Gland.

SS Klondike - Whitehorse, YT

SS Klondike – Whitehorse, YT

Nous passons quatre nuits au camping de Robert Service, en compagnie de :

  • Un anglais à moto qui attendait des rayons des rechanges. Il venait de remonter l’intégralité du continent Américain sur sa machine.
  • Un soudeur au chômage, son chien, sa tente et sa bouteille.

La majorité du temps en ville est passé entre le café Tim Horton, et le fast-food A&W afin de bénéficier de l’internet et de planifier la suite du voyage.

Nous hésitons entre plusieurs rivières :

  • Le Yukon (accessible depuis Whitehorse)
  • La Big Salmon, qui se jette ensuite dans le Yukon (accessible en voiture)
  • La Teslin, qui se jette également dans le Yukon (accessible en voiture)
  • Un des affluents de la Peel : Wind, Bonnet Plume, Snake, … (nécessite une dépose en avion)

Les prix de la dépose en voiture sont prohibitifs, nous manquons d’expérience pour aller sur la Peel directement, et de temps pour faire le Yukon comme entrainement préparatoire. L’itinéraire classique sur le Yukon « WhitehorseDawson City » nous semble un pis-aller.

Les loueurs de canoë ayant pignon sur rue sont : Canoe People, et Up North. D’autres acteurs mineurs visent une clientèle plus spécifique (Allemands, Japonais, …). Peu de concurrence sur les prix qui tournent invariablement autour de 500 $ pour descendre le Yukon.

Nous apprenons que la clientèle japonaise est particulièrement présente en hiver car concevoir un enfant sous une aurore boréale est porteur de chance.

Shopping - Whitehorse, YT

Shopping – Whitehorse, YT

Nous trouvons un canoë en promotion chez Canadian Tire au prix de 400 $ (très bon marché comparé aux 900 $ pour un canoë d’occasion, et 500 $ pour une location). A l’évidence, ce n’est pas un bon canoë, mais il semble suffisamment bon.

Cette perspective ouvre de nouveaux horizons et nous décidons de parcourir le Yukon au-delà de Dawson City afin de traverser la frontière Américaine. Le canoë devient un véritable moyen de transport, et non plus une activité ludique.

Nous prenons la décision d’acheter le canoë. L’itinéraire parcouru à pied le jour du départ est le suivant:

  • Arrivée en ville avec notre sac à dos
  • Achat de 2 pagaies chez Up North pour 30 $ pièce
  • Achat de 3 livres choisis au hasard dans un magasin d’occasion : « Fifth Business », « The Manticore », et « World of Wonders », par Robertson Davies
  • Achat de 3 semaines de nourriture pour 300 $, transport en caddie
  • Achat d’un canoë pour 400 $, 2 gilets de sauvetage pour 20 $ pièce, pagaie de secours, canne à pêche, hache, scie et équipement divers
  • Transport de l’intégralité de l’équipement en caddie jusqu’au Yukon qui coule de l’autre côté du parking
  • Chargement du canoë
  • Départ pour 3 semaines en autonomie

Too big to fit in here - Whitehorse, YT

Nous profitons du luxe d’avoir de la nourriture variée, lourde et à profusion, sans avoir à la porter sur notre dos. Le courant dépassant les 10 km/h permet de progresser rapidement.

La traversée du Lac Laberge est interminable et l’absence de courant rend chaque coup de pagaie d’autant plus pénible que le soleil est de plomb. Le troisième jour, fort vent de dos sur un lac qui ressemble désormais à la mer. Les vagues rendent les traversées périlleuses mais la voile que nous avons confectionné est d’une aide précieuse pour avancer.

Entrée sur le lac - Lac Laberge, YT

Entrée sur le lac – Lac Laberge, YT

Après le lac Laberge nous empruntons le tronçon dénommé « Thirthy Mile », désigné rivière du patrimoine canadien. Le parcours est jalonné de nombreux vestiges de la ruée vers l’or (cabanes, voitures, bateaux, etc.). C’est certainement le tronçon le plus sauvage de la rivière entre Whitehorse et Dawson. Nous apercevons un ours noir traversant à la nage et un orignal.

L'équipage - Yukon river,YT

L’équipage – Yukon river,YT

Le GPS nous donnant notre vitesse instantanée, nous comprenant rapidement que la contribution apportée par nos pagaies est marginale comparée à la vitesse du fleuve. Nous décidons en conséquence de nous détendre et de laisser la nature faire le travail. Le meilleur moyen de couvrir un maximum de distance étant de rester sur le canoë, nous embarquons tôt, finissons tard, et prenons le petit déjeuner et le déjeuner sur le canoë. Le soleil se couchant tard, nous bénéficions d’agréables soirées où nous cuisinons sur le feu.

Carmacks – 9 Août 2013

Nous retrouvons la civilisation pour une journée. Nous achetons quelques fruits et légumes et mettons à jour le site internet. Le cuisinier du camping nous offre des hameçons pour tenter de parer à notre incompétence en matière de pêche.

Nous reprenons notre trajet vers Dawson où nous croisons une majorité d’Allemand. A l’occasion, nous accrochons notre canoë à celui d’autres canoéistes dérivant sur le fleuve, et leur faisons déguster une anisette bien de chez nous, que nous avons débusquée à Whitehorse.

Dawson City – 14 Août 2013

Chercheur d'or - Dawson, YT

Chercheur d’or – Dawson, YT

Nous arrivons finalement à Dawson pour les « Discovery Days » qui célèbrent la découverte ayant déclenchée la rué vers l’or. Nous y passons 5 jours à visiter une ville étrange et fascinante qui a entre autres spécificités un cocktail baptisé « Sour Toe », qui consiste en un shooter dans lequel trempe un orteil humain conservé dans l’alcool. On boit cul-sec le verre, en prenant soin de toucher l’orteil avec les lèvres pour rentrer dans le club plus très sélectif du « Sour Toe ».

Au hasard de nos errances en ville, nous découvrons sur un mur les vers de Robert Service, « le barde du Yukon ».

I wanted the gold, and I sought it;
I scrabbled and mucked like a slave.
Was it famine or scurvy — I fought it;
I hurled my youth into a grave.
I wanted the gold, and I got it —
Came out with a fortune last fall,
Yet somehow life’s not what I thought it,
And somehow the gold isn’t all.

Robert Service – The Spell of the Yukon

Campement - Yukon river, AK

Campement – Yukon river, AK

 

Cornes à nu de l'Orignal - Slaven's Roadhouse, AK

Cornes à nu de l’Orignal – Slaven’s Roadhouse, AK

Sans nous retourner, nous abandonnons Dawson et ses promesses d’argent facile, et nous laissons glisser sur le puissant Yukon où de nouvelles aventures nous attendent :

  • franchir la frontière américaine sur un canoë
  • manger de l’orignal avec des chasseurs
  • finalement quitter le Yukon à Circle en Alaska
  • vendre notre canoë pour la moitié de son prix d’achat dans un village de 90 habitants

 

Circle, Alaska – 26 Août 2013

Mais c’est une histoire que nous n’aurons pas le temps de raconter car nous embarquons déjà dans l’avion de la poste pour rejoindre Fairbanks, sur notre route vers le Denali.

Embarquement - Circle, AK

Embarquement – Circle, AK

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